On a beaucoup parlé du respect dû aux opinions religieuses, ces temps. Une religion est une chose avant tout respectable. Et même, quoi de plus respectable qu'une religion ? C'est qu'il y va de tout ce qu'il y a de plus essentiel, savez-vous ? La vie, la mort, la vie après la mort, Dieu, ce qu'il est, ce qu'il n'est pas, ce qu'il aime, ce qu'il n'aime pas, ses petites manies, ses anges et ses prophètes, pas rigoler avec ça, hé. On veut rétablir le délit — que dis-je ? Le crime ! — de blasphème. Très bien. Qu'est-ce que le blasphème ? Une violation du sacré. Or, pour qu'il y ait violation, il faut déjà qu'il y ait du sacré. Bon. Liste des choses sacrées. À déposer au greffe. Chaque religion a sa liste, bien entendu, on est en république, quoi. Picorons. Au hasard de la fourchette : Dieu — jamais au pluriel, sauf chez les chrétiens, mais, chut, ils ne s'en doutent pas —, Son ou Ses prophètes, Sa ou Ses femmes, s'il y a lieu, Son ou Ses enfants, Son ou Ses prophètes, Ses parties détachables (Sacré-Cœur, par exemple), Son livre, Ses prêtres... Bref, respect. Tout est respectable, mais là, respect spécial religieux. Moi je veux bien, pour ce que j'en ai à foutre... Seulement, j'aimerais bien qu'on me respecte aussi, moi. Pas seulement en tant que quidam, je veux dire. En tant qu'athée. Je m'explique. Dire que tel ou tel prophète ou tel ou tel saint est un cinglé ou un imposteur serait manquer de respect à la religion concernée et à ses adeptes, c'est bien cela? Eh bien, prononcer le nom d'un dieu, d'un prophète, d'un saint, d'un ange, ou de quoi que ce soit de ce genre devant moi, c'est me faire gravement injure (en même temps que faire gravement injure à l'intelligence humaine). C'est me manquer de respect. Prier devant moi, s'agenouiller, faire le signe de la croix ou je ne sais quel autre salamalec rituel, c'est m'agresser sauvagement. Moi aussi, j'ai mes convictions. Moi aussi, j'ai droit au respect. Manger un sandwich jambon-beurre dans une synagogue ou une mosquée est considéré comme une injure épouvantable pour les fidèles de ces obédiences. Prier devant un athée est une injure équivalente. Puisque croire — verbe hideux — est permis et même spécialement honoré, ne pas croire devrait l'être tout autant. Tu dis ? À l'en-vers ? D'accord, à l'envers. Si je portais plainte contre les auteurs de catéchismes, bibles et autres corans pour injure à la raison et pour exploitation éhontée du désarroi des âmes fragiles, ma plainte serait-elle recevable ? Je vous entends d'ici ricaner. Ah, elle est belle, votre justice ! Cavanna, Charlie Hebdo du 29 mars.